Pratique architecturale expérimentale (I)  / 2000 /

Schizo-Architecture / Aire d’autoroute (concours BMW / nominé)

 

Soumise à de nouvelles motivations narratives  transgressant les genres cognitif et transcendantal du discours moderniste, l’architecture devient le lieu d’un écart libertin des formes de discours soumis à l’évaluation logique des propositions. Un gai savoir, une responsabilité assumée permettent d’inventer une architecture capable à force de plus-value narrative d’offrir à ceux qui la traversent une plus-value émotionnelle et affective. Cette architecture devient un monde sous la surcharge narrative qu’implique une mise en parallèle de différents plans d’organisation, de sommes de phrases hétérogènes, d’univers différents (de nature programmatique et pragmatique, contextuelle, poétique et fonctionnelle).
Qu’est ce que nous raconte cette architecture ? Cette question reste encore et toujours assignée à la question du sens et à son enchaînement logique subordonner aux présupposés ontologiques, transcendantaux et moraux. Nous préférons poser la question suivante: quels sont les moyens mis en œuvre par cette architecture pour exprimer son don de soi à ceux qui la traversent ? Sa présence s’exprime à travers la richesse de son don à  affecter; et sa puissance à exprimer une plus grande quantité d’affects trouve forme dans l’articulation et l’agencement de dispositifs spatiaux hétérogènes, dans ses qualités à exprimer sa puissance d’affecter.
Cette architecture est une traversée rythmée par des dispositifs spatiaux de nature hétérogènes qui lie deux points stratégiques de l’aire d’autoroute (les parkings de par et d’autre de la station-essence). Le parcours est multiple, fait de raccourcis et d’impasses, n’obligeant pas à rester sur une unique déambulation rationnelle. L’architecture de ce projet distribue les hommes le temps d’une découverte (d’un terroir), d’une initiation (monter un cheval), d’une dégustation (restaurant gastronomique), une méditation (sieste) : le temps d’une traversée sur un océan de verdure.
Cette dérive psychologique et cette traversée corporelle s’expriment grâce à l’agencement de plusieurs dispositifs spatiaux. Deux des dispositifs sont de nature identique: ils puisent leurs qualités en déterritorialisant le territoire géographique et agricole que l’autoroute traverse. Le premier déterritorialise le référent prairie, la transforme pour qu’elle devienne une micro-prairie en apesanteur. Cette artificialité opère dans le second dispositif en décodant ici le référent champ. Des champs agencent, structurent le temps de la traversée le marché, le hall en transperçant, en trouant ces espaces fonctionnels. Ces micros-champs et cette micro-prairie sont les marques d’une certaine distanciation entre la nature et l’homme qui entretient avec elle des intensités  affectives singulières. Ces deux territorialisations se mettent en situation pour exprimer, le temps de l’arrêt,  la contemporanéité d’une époque où l’autoroute en est aussi une forme performante et performative.
Un troisième dispositif opère pendant  et pour la dérive: le projet doucement s’enfonce dans le sol, laissant aux niveaux hauts les fonctions nécessitant le plus d’éveil et d’attention psychologique pour retrouver des lieux de détente et de repos plus loin dans l’avancée. Nous atteignons le niveau le plus bas, s’installant au cœur d’une étendue isolant des flux mécaniques et sonores, protégés par cette topologie spatiale: l’enfoncement se retrouvent dans un web-café, dans un motel ou déjeunant sur l’herbe ceux qui choisissent de profiter un peu plus du temps qui passe. Cette qualité topologique du dispositif surligne la dérive de la traversée.

Le dernier dispositif, investissant les autres organisations spatiales impose le long du parcours des dilatations et des compressions spatiales. Les fréquences de ces respirations se font au rythme du pliage architectural du projet.
Ces quatre dispositifs, ces quatre plans d’organisation s’agencent dans une synthèse inventive, libertaire, sous-tendue par une plus-value narrative. C’est dans l’inventivité joyeuse et dans la dédramatisation assumée du réel que le projet inscrit dans le cercle légitime d’une certaine autorité que le projet existe.